L’art de recevoir et le vin
Philippe Faure-Brac, sommelier
Je vous présente ci-dessous une belle rencontre avec Philippe Faure-Brac, l’un des meilleurs sommeliers du Monde. Originaire de Marseille, il découvre sa passion pour le vin au cours de ses études de cuisinier. Après quelques expériences dans des restaurants parisiens, il ouvre en 1984 le Bistrot du Sommelier (Paris 8ème). Elu Meilleur Jeune Sommelier de France en 1984 puis Meilleur Sommelier de France en 1988, il remporte en 1992 la médaille d’or au Concours mondial des sommeliers de Rio. Philippe FAURE-BRAC fut le sommelier du CONCORDE et s’est occupé de la sélection des vins de 1998 à mars 2005 de la cave volante de la compagnie aérienne AIR FRANCE. Il organise par ailleurs des soirées dégustations tant dans son restaurant que dans des sites extérieurs en France et dans le monde.
Le service du vin a évolué de siècle en siècle. Pensez-vous qu’il existe un véritable art de recevoir à la française qui se distingue des autres cultures du monde ? Comment peut-on encore innover dans l’art de servir le vin et comment peut-on sublimer ce service ?
Effectivement, nous constatons un cérémonial de service qui n’est peut-être pas propre à la France mais qui émane du service à la française. Il est très lié au service de la table en général. Nous pouvons parler aussi de service à l’anglaise et d’autres influences culturelles mais le service à la française reste une référence. Par exemple, les ambassades utilisent aujourd’hui ce service. C’est une référence en termes d’éducation et de service. Nous sommes les initiateurs de ce service et aujourd’hui grâce à la formation, ce modèle à la française est dispensé dans les écoles du monde entier ; ce que nous faisons spontanément du fait de notre culture, les autres l’apprennent.
Alors en quoi cela consiste ce service ?
En ce qui concerne l’ouverture d’une bouteille de vin, il faut :
- Retirer convenablement la capsule de la bouteille sous la bague pour éviter lors du service, une possibilité de souillure à cause du contact entre le vin et la capsule qui a pu être salie.
- Bien essuyer le goulot avant même d’ouvrir le bouchon.
- Venir au centre du bouchon pour le retirer délicatement en 2 étapes intermédiaires et en utilisant un tir bouchon à queue de cochon à 5 vrilles minimum.
- Ouvrir délicatement la bouteille sans faire de bruit et sans aspirer de vin qui viendrait tacher la nappe ou la table.
- Servir des vins qui le méritent, des vins jeunes qui demandent à être oxygénés ou des vins vieux qui ont un dépôt et qui demandent à être séparés de la partie liquide et de la partie solide en le mettant en carafe.
- Utiliser une verrerie adaptée, en fonction du type de vin. Les français ont développé différentes formes de verres selon les différentes régions (Alsace, Bourgogne, Vallée du Rhône, verre à vin d’Anjou…) ou soit une verrerie évolutive, car les techniques évoluent, il y a des verres qui sont capables de mettre en valeurs certaines caractéristiques d’un certain nombre de vins.
- Faire attention à la température de service des vins. La tradition n’empêche pas l’adaptation. Dans l’école française, il y a des règles de préséance de service et de techniques. Par exemple, le chambré d’aujourd’hui, n’est pas nécessairement à la température de 20 à 22 degrés mais plutôt de 16 degrés. C’est vrai que le chambré d’antan n’est pas le chambré d’aujourd’hui, tout simplement parce que les pièces d’une maison ne sont plus chauffées comme autrefois. Il faut savoir faire évoluer certaines traditions.
Comment peut-on innover dans l’art de servir le vin aujourd’hui ?
Nous innovons au niveau de nouveaux matériels, de nouveaux types de carafes, de nouvelles verreries et de la perception des températures de service des vins qui évolue énormément. Aujourd’hui, il y a une mixité dans les comportements des sommeliers qui sont due à une circulation de l’information.
Néanmoins, l‘école française reste la référence et c’est vrai les français sont très sollicités dans le monde entier pour porter la bonne parole. Les pays étrangers prennent ce qui leur semble intéressant et l’adaptent à leur mode de vie et à leur comportement.
Cela fait 30 ans que je sillonne le monde. Chaque fois que je vais quelque part je prends des idées que j’adapte à notre façon de faire, que ce soit en termes de verreries, de températures, car nous avons tendance à servir des vins un peu chauds et à les boire un peu frais. En allant dans différents endroits, j’ai pu découvrir d’autres techniques dans le service du vin et ainsi m’apercevoir en situation que cela était beaucoup mieux.
Pensez-vous que les moines qui ont été les premiers à développer le vin et à voyager ont appris des uns et des autres ?
Bien sûr, chaque génération a marqué son époque. Ce sont souvent les migrations, les conflits, les batailles qui ont créé des mixités et qui ont apporté aussi du bon à l’Homme. Nous gagnons à la rencontre des autres. Il en ressort toujours quelque chose, qui va cristalliser ce qui est bon à terme.
Vous avez parlé du service à la française. Quelles sont les différences entre l’école anglaise et l’école française ?
Dans le service à l’anglaise, les serveurs servent les gens, alors que dans le service à la française, les serveurs tendent les plats et les convives se servent eux-mêmes. C’est culturellement différent. Nous allons, historiquement parlant, d’avantage vers l’autre, nous nous en occupons et le serveur est plus interventionniste.
Le service à la française est plus cérémonial, attentif, un peu plus discret. La démarche est différente. Le fait de servir le vin est une évolution dans l’histoire française, car autrefois le vin était posé en carafe sur les tables. Les gens devaient donc se servir eux-mêmes. C’est après la révolution française que le service a changé par réaction, par démocratisation de la restauration.
Pensez-vous que le vin français occupe toujours une place noble dans le monde ? Est-il toujours une référence ? Quelle est votre vision pour les années à venir ?
Bien sûr, le vin français a toujours une place noble, c’est toujours le vignoble de référence. Mais nous ne sommes pas les seuls au monde. Il est clair qu’il y a des grands vins aujourd’hui dans beaucoup de pays et des vins qui se vendent très chers. Ce n’est pas juste pour épater la galerie mais parce que le marché les réclame et les achète. Il y a de très grands vins de références en Espagne, Italie, Allemagne et Etats-Unis. Il y a des vins iconiques dans de nombreux pays.
Je pense que la grande chance que nous avons en France, c’est que nous avons beaucoup de vins iconiques que le monde nous envie grâce à notre histoire, notre savoir-faire, à notre terroir, et aux générations de vignerons.
La qualité du vin produit dans le monde ne cesse d’augmenter. Nous avons un temps d’avance sur les techniques que nous devons garder et nous devons aussi préserver notre terroir.
Vous intervenez régulièrement dans l’hôtellerie de luxe, pourriez-vous partagez avec nous votre plus belle expérience d’hôtel (rencontre extraordinaire, un service irréprochable, une délicate attention..), qu’est-ce qui vous a touché ?
J’ai effectivement la chance dans mon travail de parcourir la planète. La plus belle expérience que j’ai vécue dans l’hôtellerie de luxe a eu lieu à Paris au Georges V. Le restaurant est géré par Eric Beaumard un ancien sommelier. Il a été meilleur sommelier de France et d’Europe et vice-meilleur sommelier du monde. Que ce soit au restaurant étoilé ou au service des banquets, il a une approche remarquable sur le service du vin.
Avez-vous une autre expérience similaire dans le monde ?
Dans le monde, une de mes plus belles expériences de dégustation à eu lieu au restaurant du Four Seasons de New-York. J’ai passé une soirée dégustation assez inoubliable à l’époque de Joël Robuchon. Chaque plat était souligné d’un vin particulier, servi à bonne température et dans une verrerie irréprochable…. C’était du grand art !
Quelle est votre actualité ? Souhaitez-vous mettre en lumière un projet en particulier ?
Nous avons complètement rénové notre restaurant « le bistrot du Sommelier » à Paris dans un esprit plus contemporain, pas nécessairement plus moderne mais en tout cas plus fluide au niveau du service et au niveau du confort des clients, avec de nouvelles particularités. J’ai par exemple dessiné une table avec des jeux de lumières ce qui permet en fonction des vins, des palais, de faire prendre conscience aux clients que les vibrations et les émotions dégagées par la lumière modifient la perception du vin et sa dégustation.
Lorsque nous sommes dans une ambiance rouge, il y a plus de rondeur, plus de chaleur qui se dégage autour de la table. Alors que si nous sommes dans une ambiance bleue ou verte au contraire nous avons une sensation de frais, de froid et donc une perception plus tannique des vins que nous goûtons. Ce sont des éléments qui font partie de la décoration mais aussi de la dégustation.
Laurent Delporte, éditorialiste et conférencier est un expert stratège du secteur de l’hôtellerie. Visionnaire, il apporte un nouveau regard sur l’hôtellerie au service des décideurs du secteur que cela soit au profit du développement de nouveaux projets ou de l’enrichissement de vision stratégique. Laurent a visité et audité plus de 400 hôtels à travers le monde et participé également à des enquêtes mystères pour contrôler la qualité des plus grands hôtels.
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