Le lien entre art culinaire et art de recevoir
selon Pierre Thiam, chef de cuisine sénégalais basé à New York
Dans le domaine de la restauration, l’art de recevoir doit se traduire à tous les niveaux dès l’instant que le client arrive et même un peu avant au moment de la réservation.
L’accueil, l’ambiance, le décor, le confort, la touche florale, le choix des couverts, la lumière, la sonorité, l’esthétique de l’assiette, la qualité des produits servis, l’attention portée aux moindres détails contribuent à offrir une agréable expérience aux clients.
J’ai rencontré le chef Pierre Thiam à Saint LOUIS au Sénégal à l’occasion d’un colloque sur l’Art de recevoir au Sénégal. La rencontre avec Pierre a été passionnante. Il habite et travaille à New York depuis plus de 20 ans. Il s’est initié à la cuisine dans plusieurs restaurants. Talentueux, il ouvre en 2000 son premier restaurant le « Yolélé ». Le second restaurant « Le Grand-Dakar Restaurant » ouvrira quatre ans plus tard. Il a écrit le livre « Yolélé » en 2008 où il promeut la cuisine africaine. Vous y trouverez des recettes sénégalaises. Il est finaliste du prix Julia Child Award en 2009 et remporte le prix spécial du jury Gourmand World Cookbook de Paris en 2010.
Il réalise une cuisine contemporaine inspirée des produits Africains. Il recherche l’équilibre entre le goût authentique et les qualités nutritives des ingrédients. Le tout est présenté dans un cadre qui intègre les propres valeurs d’hospitalité et d’esthétique de l’Afrique. Pierre est un ambassadeur de l’art de recevoir africain. Pour lui, l’art de recevoir est « une des valeurs cardinales de l’Afrique en général et du Sénégal en particulier (Teranga). Chez nous, l’etranger est roi. Lorsque toute l’équipe du restaurant en fait sa maxime, le repas du client se transforme en une expérience authentique et inoubliable.«
Pierre Thiam, Vous êtes Chef Sénégalais, basé à New-York. Vous avez écrit des livres sur la cuisine sénégalaise et obtenu différents prix pour votre travail. Fort de votre culture et de vos voyages, vous définissez votre cuisine comme « une cuisine contemporaine de qualité, inspirée des produits Africains ». Vous réinterprétez votre savoir-faire en voyageant tout en gardant vos racines que vous enrichissez en permanence.
En quoi le territoire façonne-t-il la restauration d’un pays déterminant ainsi son art de recevoir ? Comment la restauration est-elle une source de transmission des valeurs ?
Il est évident que le territoire en est son essence car la cuisine d’un pays est avant tout influencée par son environnement. La restauration d’un pays, s’inspirant des produits de son terroir, est donc logiquement façonnée par le territoire. Au-delà des produits, cette même restauration reflète un ensemble de valeurs qui sont propres à cet environnement; y compris son art de recevoir.
Comment réinterprétez-vous la cuisine traditionnelle sénégalaise ? Quelle est votre cuisine ? Quels sont les différentes façons de manger ?
Lorsque je revisite la cuisine traditionnelle Sénégalaise mon expérience personnelle s’invite forcément. Parfois, ce sont des idées venues d’ailleurs qui s’immisce de façon subtile. D’autres fois, ce sont les produits de chez moi qui sont utilisés comme support pour une recette venue d’ailleurs. Une sorte de dialogue s’opère et l’assiette devient un « rendez-vous du donner et du recevoir ». Ce faisant, Je n’essaye pas de changer la tradition qui demeure la base de mon inspiration. Je tiens à rester fidèle à son essence et à ses saveurs. Ma cuisine est plutôt une façon de rendre hommage à cette tradition qui restera toujours au cœur du dialogue.
En ce qui concerne les différentes façons de manger, chez nous, il n’en existe qu’une, on mange ensemble, en famille, entre amis…manger est toujours une sorte de communion.
Comment définissez-vous l’art de recevoir sénégalais ? Et pouvez-vous nous éclairer sur l’art de recevoir à New York ?
Au Senegal, l’invité est roi. L’étranger est toujours le bienvenu avec qui on partage le même repas, autour du même bol. Le mot Teranga est l’expression qui symbolise le mieux cet Art de Recevoir au Sénégal. A NY aussi il existe bien sur un Art de recevoir quoiqu’il soit diffèrent de celui du Sénégal. Le rythme est différent. Ici, il faut d’abord être introduit ou invité. C’est une société beaucoup plus individualiste et matérielle. Le sens de la communauté est donc forcément moins développé qu’au Sénégal.
En quoi l’art de recevoir est-il une expérience pour le client ? Comment l’art de recevoir africain peut-il se traduire dans un restaurant ? De la cuisine à la façon de servir à la décoration …
L’art de recevoir permet au client de se sentir spécial. La restauration n’est pas tout juste un troc ou le client donne son argent et on lui sert une assiette. C’est a travers cet art de recevoir que l’expérience du client devient agréable. C’est parce qu’il se sent bien accueilli qu’il revient. L’objectif du restaurant est le bien être du client, dès l’instant où il franchi les portes du restaurant; de l’hôtesse a l’accueil jusqu’au moment où il reçoit sa facture,. Cela commence par la qualité du service, l’attention portée aux moindres détails, l’ambiance, le décor, la lumière rien ne doit être négligé pour assurer le confort du client.
Pour le cas du restaurant africain, l’objectif reste le même, offrir au client une agréable expérience. Cependant, ce ne doit être une mimique de ce que font d’autres restaurants de cultures différentes. Rappelons que la restauration d’un pays s’inspire de son terroir: de ses produits tout comme de ses valeurs. Le restaurant africain qui intègre cela offre une expérience beaucoup plus complète au client. Cette intégration doit bien sûr s’adapter au contexte et à l’époque. Tout en évitant que cela soit trop cliché, Le décor, l’atmosphère, le choix des couleurs ou des luminaires, doivent permettre au client de voyager en Afrique.
Par exemple, lorsque je dessine un menu, je pense au client et à son bien-être. Je tiens compte, a la fois, de l’aspect nutritif et de l’esthétique du plat qui doit toujours être appétissant. En tant que chef servant une cuisine qui se veut africaine, je souhaite aussi offrir, autant que faire se peut, l’expérience du manger ensemble qui est une de nos valeurs fondamentales. Cela peut s’exprimer de différentes façon: soit par un concept du style tapas ou la table est encouragée à prendre plusieurs petits plats afin de les partager ou encore en servant le repas sur un plateau permettant à chacun de se servir directement dans son assiette et pourquoi pas, manger directement autour d’un bol comme cela se fait dans nos foyers. Tout dépend de l’ambition du restaurant. Si l’objectif est de décrocher des étoiles Michelin, l’approche sera, bien entendu, révisée.
Laurent Delporte, éditorialiste et conférencier est un expert stratège du secteur de l’hôtellerie. Visionnaire, il apporte un nouveau regard sur l’hôtellerie au service des décideurs du secteur que cela soit au profit du développement de nouveaux projets ou de l’enrichissement de vision stratégique. Laurent a visité et audité plus de 400 hôtels à travers le monde et participé également à des enquêtes mystères pour contrôler la qualité des plus grands hôtels.