D’hier à aujourd’hui, l’hôtellerie de luxe fait face aux changements d’aujourd’hui

J’ai rencontré François Delahaye, directeur général du Plaza Athénée et directeur des opérations de Dorchester Collection. Découvrant la restauration à l’âge de treize ans en tant qu’aide cuisinier à Lille, il devient valet de pied pour le Duc de Westminster à dix-neuf ans avant de suivre les cours de l’Ecole Supérieure d’Hôtellerie de Saint Cergue en Suisse jusqu’en 1976. Depuis, il a évolué dans de nombreuses maisons hôtelières de luxe telles que Sofitel, Warwick et Westin. En 1999, il devient Directeur général du Plaza Athénée puis directeur des opérations de la Dorchester Collection en 2006.Nous nous revus pendant le salon de l’ILTM où nous avons échangé sur l’hôtellerie de luxe et ses évolutions depuis ces 20 dernières années.

 

Francois Delahaye
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Francois Delahaye (c) Antoine Baralhe

Quels ont été selon vous les principaux changements de ces vingt dernières années dans le métier d’hôtelier ?



Tous les hôteliers ont eu à modifier la façon dont ils appréhendent la distribution, c’est-à-dire la manière de vendre les chambres de nos hôtels. Depuis deux décennies, son évolution a surpris toute l’industrie. Nous n’y étions pas forcément tous préparés. Les grands complexes hôteliers vivaient sur une rente et peu se sont formés aux nouvelles problématiques de la distribution. Les responsabilités sont diverses, tant de la part du métier d’hôtelier que des écoles hôtelières. Aujourd’hui en effet, tous les étudiants de ces dernières veulent devenir des asset manager (gestionnaire d’actifs), et ne veulent plus que très rarement travailler dans l’hôtellerie au niveau des opérations. Le métier de directeur d’hôtel et le parcours pour y arriver est à la fois difficile, passionnant et riches d’expériences et source de satisfactions personnelles.

Nous n’avons également pas vu l’attaque de sociétés comme Merrill Lynch, Goldman Sachs ou Nestlé qui se sont intéressées aux écoles hôtelières pour récupérer l’excellente formation dispensée aux étudiants. Ces derniers, devenus débrouillards grâce à divers stages dans des hôtels, peuvent accéder à des postes mieux rémunérés. Il y a aussi bien entendu une responsabilité de la part des hôtels, où tous les étudiants sont mal payés et finissent par rapidement quitter le milieu.

En vingt ans, internet a rebattu les cartes du tourisme hôtelier. Notre milieu n’a pas suffisamment vu le changement arriver et les différentes conséquences à tous les niveaux.

Récemment, je me suis entretenu avec le Président de One & Only – qui était resté de nombreuses années à la tête de Movenpick. C’était très intéressant car il possède une certaine approche et un regard différent du fait qu’il ne vient pas du milieu du luxe. Quand je vois maintenant certains directeurs généraux d’hôtels qui sont partis en retraite trop tôt – il y a une vingtaine d’années -, je me rends vraiment compte que le métier a totalement changé. Ces anciens patrons ne sont plus du tout à jour sur les problématiques actuelles.

En travaillant chez AccorHotels en 2004, j’ai posé la question de la nécessité de la mise en place d’un livre d’or sur le site internet des hôtels. A l’époque, les hôteliers et la direction marketing m’ont répondu que cela n’était pas important. Les commentaires dans les chambres étaient à leurs yeux suffisants. Quelques années après, TripAdvisor dominait le marché des commentaires de clients. Ensuite, il y a eu les sites en lignes de réservations, puis l’arrivée de AirBnB qui ont bousculé l’hôtellerie. Ces évolutions étaient-elles prévisibles ?

Il était possible de prévoir certaines tendances, mais l’ensemble du milieu a été surpris de la rapidité des évolutions du métier. Au fil de ma carrière, j’ai pu m’entretenir avec nombre de grands patrons, qui sont souvent les mieux placés pour établir une vision et repérer les tendances à venir. Nous avons eu au Plaza Athénée la visite de plusieurs d’entre eux, qui malgré leurs obligations savent se rendre accessibles. Il est donc essentiel de s’entretenir avec des personnes qui ont pu suivre les récentes évolutions et conserver une vision de leur stratégie. Je pense notamment à Sébastien Bazin. De par sa clairvoyance, ses rencontres, ses expériences, il est très bien placé pour échanger autour d’une vision de ce qu’il pourrait se passer, notamment des évolutions liées à l’explosion d’internet. Cela s’observe toutefois à moindre échelle dans le milieu des Palaces, comme le Plaza Athénée. Notre clientèle réserve encore à 50% au téléphone. La part de business passant par Internet est encore assez réduite, tout Palace confondu. Mais cela évolue. Pas aussi rapidement que je le pensais, mais cela évolue.

Mis à part une redistribution opérée par les réservations en ligne, des révolutions s’observent. Regardez Uber, AirBnb, et combien il était très difficile de prévoir ces nouveaux acteurs.

 

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Restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée

Le fait de travailler sur le terrain et de veiller au bon fonctionnement 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 de l’hôtel est-il un frein au développement d’une vision ou tout du moindre à une prise de recul ?

Oui, en effet, je le pense. La gestion dans l’hôtellerie est avant tout très opérationnelle, au jour le jour. Le métier étant ainsi fait, il est difficile de développer une véritable vision à long terme. Cependant, développer une vision et suivre les tendances fait aussi parti de notre cœur de métier. Il ne faut pas oublier qu’il faut fournir une grande qualité de services au quotidien dans les hôtels si nous voulons que nos clients s’y plaisent.

Sur le plan des évolution technologiques, prenons l’exemple du Wi-Fi. Il a fallu près d’une décennie pour que tous les hôtels disposent d’un Wi-Fi de qualité. Entre la première génération du système de WI-FI pour un hôtel, et celle d’aujourd’hui, de nombreux investissements ont dû être réalisés et parfois à plusieurs reprises. Nous aurions pu changer nos téléphones aussi. De moins en moins de clients utilisent le téléphone fixe de la chambre. Cela n’apporte donc plus aucun chiffre d’affaires. Tout le monde utilise son portable. Le développement du wi-fi possédait donc une double utilité. Répondre aux besoins des nouveaux clients, tout en compensant la perte de chiffre d’affaires induite par la réduction des appels téléphoniques.

Il est pourtant essentiel de conserver les standards téléphoniques – qui coûtent très cher – pour que des clients plus traditionnels puissent nous contacter. Les standards sont désormais d’un autre âge, mais restent indispensables pour répondre au téléphone. Cela représente encore un coût non négligeable sur nos charges opérationnelles.

De nouveaux services se développent chaque année. Désormais, il est possible de trouver des applications propres à l’hôtel, avec lesquelles le client peut envoyer diverses requêtes à la gouvernante. Mais le milieu est relativement long à évoluer, du fait du coût de ces investissements qui peuvent être incertains.

Quelles sont pour vous les menaces dans les années à venir ?

Encore et toujours la distribution. D’une part, vous allez avoir la création d’acteurs immenses dans l’hôtellerie. Il suffit de suivre les fusions avec Marriott International qui rachète Starwood ou AccorHotels qui rachète les hôtels Fairmont, Swissôtels et Raffles, tout cela forme des complexes d’une taille jamais égalée auparavant.

D’autre part, les clients recherchent de plus en plus quelque chose de confidentiel, une intimité autour d’un service personnalisé. Cela ne correspond pas vraiment aux offres que proposent ces nouveaux groupes très concentrés. Je ne sais donc pas vraiment comment cela va se passer, mais je pense que les nouveaux “mammouths” de l’hôtellerie ne pourront pas réussir à répondre individuellement aux demandes de chaque client. Il ne fait aucun doute qu’ils restent à l’écoute de leurs clients, et essayent de proposer une expérience individuelle à chacun d’eux. Il faut ainsi rester très attentif aux évolutions digitales, et aux révolutions qu’elles peuvent apporter dans l’hôtellerie. Mais la tendance dans les années à venir sera sans nul doute de se concentrer sur les attentes du client pour lui offrir une expérience individuelle.

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Plaza Athénée, la Suite prestige (c) Eric_Laignel

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