Le voyage de Patrick Charvet, chef du Hyatt Madeleine
Lors de ma rencontre avec Patrick Charvet, chef des cuisines du Hyatt Paris Madeleine, j’ai noté qu’il était l’un des rares chefs de cuisine en France à avoir parcouru le monde pour explorer de nouvelles horizons culinaires. Cela me paraît tellement essentiel aujourd’hui de réaliser un tel voyage que j’ai souhaité vous transmettre nos échanges sur cette question. Elle est importante car je pense que nous ne pouvons plus proposer uniquement une cuisine 100 % française et traditionnelle. Il faut la conserver, la promouvoir et la proposer bien évidemment car elle plait et elle reste recherchée dans le monde entier mais il faut aussi proposer une autre alternative, original et ouverte aux cultures de chacun. Je pense que nos chefs français ont assez d’inventivité pour proposer une nouvelle vision de la cuisine dans le monde et il faut aussi s’ouvrir davantage aux consommateurs des quatre coins du monde.
Vous avez réalisé un voyage autour du monde. Quelle a été votre idée de départ autour de ce voyage ? Comment vous vous êtes dits « je vais réaliser un tour du monde autour de la cuisine » ?
C’est une nouvelle tendance, j’étais parmi les premiers et cela faisait partie intégrante de ma personnalité. Si je fais ce métier, c’est par amour de la création et du voyage. J’ai commencé ce métier avec le sentiment que tout était faisable et dans le monde entier. J’ai eu ma première place de chef chez un grand voyagiste au sein de son restaurant « Voyageurs du Monde ». Les deux fondateurs du Groupe m’ont proposé d’ouvrir un restaurant à côté de l’agence. J’ai lu des centaines de livres pour me faire une cartographie culinaire. Le restaurant s’appelait « Cuisine du monde ». Je mettais tous les midis un pays en avant. Ma carte permettait aux clients de voyager sur les 5 continents. Il s’agissait d’une cuisine identitaire. Après 5 années passées dans ce restaurant, le voyage était la suite logique. Au début ça paraissait infaisable, et après mes copains m’ont encouragé à oser. J’ai envoyé une vingtaine de lettres à des chefs étrangers. Et ils m’ont tous dit oui ! A chaque destination, j’ai autant découvert la cuisine dans des grands restaurants auprès de chef que dans les rues. J’ai beaucoup appris en parlant avec les gens. Il y a derrière toutes les traditions culinaires, l’histoire des civilisations. Au Maroc, par exemple, l’influence espagnole dans la cuisine est le fait de l’histoire.
J’ai été un peu partout, en Croatie, à Hong-Kong, en Indonésie, en Chine à Guangzhou, le Sri Lanka et la route des épices, New York, la Thaïlande….
De retour de mon voyage, j’ai créé mon entreprise. La famille Buitoni voulait créer des restaurants accessibles à tous autour de pâtes fraîches avec différentes recettes et pas forcément italiennes. Nous avons ouvert 4 restaurants à la suite. Malheureusement, c’était au moment de la crise. Malheureusement, c’était au moment de la crise, les levées de fond pour développer n’ayant pas suivies nous avons trouvé préférable de ne pas poursuivre.
Cette expérience m’a marqué à vie. C’était très enrichissant. Après nous avons vendu les restaurants et j’ai rejoint un projet à Boulogne, Kitchen Studio pendant le boom des émissions de cuisine. Je faisais 150 couverts sur un menu imposé. Et le soir c’était l’évènementiel culturel. J’ai travaillé dans ce cadre pendant 2 ans puis ma femme a été enceinte. Pour le coup, j’ai voulu canaliser mon côté aventurier. Et je me suis rappelle que ce que j’aimais le plus, c’était la cuisine gastronomique. Jean François Rouquette, le chef du Park Hyatt Vendôme, m’a proposé de réintégrer les cuisines et j’ai été sous-chef 2 ans à ses côtés et j’ai évolué ensuite au Hyatt Paris Madeleine.
Dans votre cuisine quel a été l’apport de votre voyage ? Comment faites-vous pour vous adapter à la clientèle internationale ?
Il y a plusieurs dimensions, les nouvelles technologies dont nous avons parlé influencent la cuisine et favorisent sa dimension internationale. Les clients d’un hôtel 5 étoiles attendent un service avec lesquelles ils sont familiers. La clientèle du midi, plutôt business veut à la fois de l’innovation et du rustique. Pour le coup le Jambon Coquillette que vous trouverez sur ma carte automne-hiver correspond à cela.. Jambon de Paris, truffe, coquillette correspond au côté régressif attendu par nos clients. Le côté parisien, le retour à l’enfance et la truffe digne d’un 5 étoiles ! Nous avons la carte qui nous guide en fonction des saisons et des produits que la nature nous offre. J’ai un côté très nature. En fonction de la saison nous avons tout un panel de produits. Même en travaillant des produits de saison français, le jeu des épices vous donnera des saveurs et des couleurs. C’est la richesse apportée par les connaissances des voyages qui nous aident à apporter du relief à notre assiette.
Et vous qui avez voyagé ? Il n’y a qu’en France que c’est comme ça ?
Ce qui m’a intéressé au départ, c’était de voir ce qui se passait ailleurs auprès de chefs français expatriés à l’étranger pour découvrir leur approche de la cuisine française à l’international. Les étrangers demandent à vivre cette expérience à la française. Souvent ils imaginent une ambiance « Louis XIV ». Parfois, ils retranscrivent cette ambiance d’une façon très intéressante et propre à eux. En Asie, par exemple, le personnel est au petit soin en permanence. Aux Etats-Unis, la cuisine manque de finesse, tout est plus gros et plus lourd. C’était vraiment intéressant de réaliser ce tour du monde pour découvrir la vision de la cuisine dans chacun de ces pays. J’ai pu constater que l’art de recevoir est interprété différemment par chaque personne. Même s’il y a une scène qui est écrite où nous disons tous « bonjour », nous recevons les clients, nous lui prenons son vestiaire, etc et nous nous apercevons que c’est la dimension humaine qui va contribuer au succès de l’expérience que nous ne pourrons pas répéter ailleurs.
Avez-vous appris de nouvelles techniques de cuisine ?
Oui bien sûr, nous cuisinons le même plat avec des techniques différentes provenant d’Asie par exemple. Pour le wok, le cuisinier chinois a une friteuse, une eau bouillante et une eau très froide devant lui. Il plonge ses légumes 4 secondes dans l’eau bouillante puis les rafraichit dans l’eau froide avant de les mettre dans la friteuse pour leur donner un côté croquant. Quand vous dégustez à Hongkong une cuisine réalisée avec un wok cela n’a rien à voir avec un plat cuisiné à Paris à l’aide d’un wok. Et puis, en Asie, vous ne mangez pas pour vous faire plaisir mais pour votre santé. Vous commencez un long repas avec un bouillon bien chaud car cela va détendre votre estomac. C’est une philosophie bien différente. En France, le bien-être n’est pas pris en considération de la même façon. Par exemple, en France, nous finissons parfois autour de fruits car nous aimons cela même si ce n’est pas forcement digeste.
Laurent Delporte, éditorialiste et conférencier est un expert stratège du secteur de l’hôtellerie. Visionnaire, il apporte un nouveau regard sur l’hôtellerie au service des décideurs du secteur que cela soit au profit du développement de nouveaux projets ou de l’enrichissement de vision stratégique. Laurent a visité et audité plus de 400 hôtels à travers le monde et participé également à des enquêtes mystères pour contrôler la qualité des plus grands hôtels.